Julien Chambert a participé à une table ronde dédiée à l'open booking. Voici l'article rédigé à ce propos par Nicolas Langis et publié dans tourmag.
Les voyageurs d’affaires sont de plus en plus nombreux à réserver leurs déplacements en dehors des canaux imposés par leurs entreprises ; soit pour dénicher un meilleur tarif, soit pour réserver un produit non disponible. Plutôt que d’interdire l’open booking, le défi de demain est de l’encadrer...
Les participants à la table ronde étaient :
Julien Chambert - AVEXIA
Xavier Quesnel - QUICKSILVER EUROPE
Emmanuel Vergé - CONCUR
Patricia Morosini - SELECTOUR AFAT
Anita Bryant - TRAVELPORT
Géraldine Valenti - CARLSON WAGONLIT TRAVEL
Qu'est ce que l'open booking ?
Julien Chambert :
La définition sera différente selon que l’on se place du point de vue du voyageur, de l’agence ou encore du fournisseur technologique...
Pour moi, l’open booking, c’est quand un voyageur réserve en dehors d’un canal autorisé et que l’entreprise ne récupère pas l’info. En tant qu’agence, l’open booking n’est pas qu’un problème, c’est aussi une opportunité formidable. C’est la possibilité de faire enfin autre chose que de la billetterie, de montrer au voyageur que l’on tient compte de ses attentes et besoins. Grâce à la technologie, on peut désormais centraliser diverses offres, sans sacrifier à la nécessaire productivité.
Patricia Morosini :
L’open booking, c’est d’abord donner la possibilité au voyageur d’utiliser n’importe quelle source de réservation plutôt que la seule source agence.
Chez Selectour Afat, nos avons une forte proportion de PME parmi nos clients, où la liberté de choix a toujours existé. La nouveauté réside dans le fait que depuis quelques années, les voyageurs ont pris l’habitude de réserver eux-mêmes leurs vacances à travers une multitude de sites, quand leur agence ne leur propose qu’une source. De fait, ils se sentent bridés quand ils réservent un déplacement à titre professionnel.
Du point de vue de l’agence, c’est effectivement une formidable opportunité de consolider des offres diverses sur une seule plateforme, et de démontrer de nouveaux savoir-faire.
Xavier Quesnel :
Pour moi, en tant que travel manager, c’est la possibilité donnée au voyageur de réserver lui-même ses prestations en direct, en sortant des canaux de réservation imposés par sa société ou son agence. On en parle beaucoup aujourd’hui, alors que ça existe depuis toujours ; en particulier dans l’hôtellerie !
La liberté de choix a toujours existé. La nouveauté réside dans le fait que depuis quelques années, les voyageurs ont pris l’habitude de réserver eux-mêmes leurs vacances à travers une multitude de sites, quand leur agence ne leur propose qu’une source.
Géraldine Valenti :
Que ce soit via une agence ou à travers d’autres sources de réservation sur Internet, on constate aussi que le voyageur est de plus en plus souvent libre de son choix.L’open booking inclut donc également des notions de politique voyage et de liberté accrue ; le fait que dans un budget défini, il puisse décider en relative indépendance.
Anita Bryant :
Pour moi, l’open booking, c’est un voyage décomposé, des éléments parfois réservés via un SBT, parfois à travers d’autres sources, qui doivent être réunis. Tout le défi est de donner une liberté au salarié tout en réunissant ces éléments, afin de contrôler un budget mais aussi de savoir où voyagent les salariés.
Quelle situation ?
Emmanuel Vergé :
Selon une étude réalisée par GBTA avec le soutien de Concur, 28% des billets d’avion seraient réservés hors des canaux de l’entreprise, et 50% des hôtels.
Il est indispensable pour les travel managers que leurs solutions de gestion des voyages prennent en compte ces réservations. Au final, on se rend compte qu’il existe beaucoup de dépenses invisibles qui se retrouvent dans la note de frais, a posteriori. Le défi est de rendre cette information visible en amont pour le travel manager.
La meilleure solution n’est pas l’interdiction de l’open booking mais que les déplacements – quel que soit le mode de réservation choisi – soient conformes à la politiques voyage de l’entreprise et intégrés au système, pour que les voyageurs bénéficient des offres négociées par leur entreprise mais aussi pour renforcer le suivi des collaborateurs et assurer leur sécurité.
Julien Chambert :
Chez Avexia, 80% des réservations hôtelières se font en dehors des canaux de réservation autorisés. Et même lorsque l’on met en place des process dans l’entreprise, nous n’en captons généralement pas plus de 60%.
Le défi pour l’entreprise est énorme. La problématique est clairement dans la réservation, l’objectif est que le réservé soit quasi similaire au facturé. Il s’agit d’avoir une vision complète de sa dépense, afin de mettre en place de nouvelles actions préventives ou coercitives, ou une politique de ressources humaines mieux adaptée, plus souple et qui permet en même temps de générer des économies.
Emmanuel Vergé :
Il est vrai que les travel managers sont généralement peu ou moyennement satisfaits de leur solution de gestion des déplacements professionnels.
Les reproches sont souvent les mêmes : un manque d’informations sur les réservations hors entreprise, l’imprécision et le retard dans le reporting, la difficulté à suivre les voyageurs dans le cadre de la gestion des risques, ou encore l’incapacité à aligner les besoins des voyageurs avec les objectifs de maîtrise des budgets de voyage.
Xavier Quesnel :
On a aussi parfois l’impression qu’il y a une guerre de compétence entre les professionnels du voyage et les voyageurs. Il y a de l’éducation à faire des deux côtés car lorsque des travel managers imposent des règles figées et se plaignent ensuite de ne pas avoir de vision de 100% de la dépense, c’est qu’il y a un problème. Un travel manager doit savoir se remettre en question.
Je suis arrivé chez Quicksilver avec des process bien définis et je me suis rendu compte que ça ne marchait pas car ce n’était pas dans la culture de l’entreprise. Plutôt que d’entrer en guerre, j’ai préféré échanger avec mes voyageurs, intégrer les sites et les fournisseurs qu’ils demandaient et me paraissaient pertinents. Il ne faut jamais oublier qu’ils ont l’expérience du voyage, bien plus que le travel manager.
Les reproches sont souvent les mêmes : un manque d’informations sur les réservations hors entreprise, l’imprécision et le retard dans le reporting, la difficulté à suivre les voyageurs dans le cadre de la gestion des risques, ou encore l’incapacité à aligner les besoins des voyageurs avec les objectifs de maîtrise des budgets de voyage.
Julien Chambert :
Le voyageur pense toujours pouvoir mieux faire que le travel manager... Souvent à tort !
Des start-ups très ouvertes dans leurs process de réservation ont récemment rejoint notre portefeuille de clients. On a été très challengé au départ. Pour évaluer la situation, nous avons comparé 103 prix dénichés par les voyageurs eux mêmes. Entre les frais bancaires cachés, les tarifs non disponibles, les frais de modification... Nous n’avons jamais été plus chers !
Cette étude a permis d’instaurer une confiance basée sur les faits ; il faut toujours discuter et échanger, être ouvert pour intégrer des offres nouvelles et répondre aux besoins des voyageurs liés à leur expérience dans le loisir ; sans oublier que nous restons dans un cadre professionnel !
À ce titre, il n’est pas possible d’ouvrir complètement les vannes. Avant tout, il convient toujours de tester les produits suggérés, regarder les problématiques juridiques et de sécurité. Et ce n’est qu’ensuite qu’on peut décider de proposer de nouvelles offres à la réservation dans l’entreprise.
Géraldine Valenti :
Les salariés sont responsabilisés, ils veulent ce qu’il y a de mieux pour leur entreprise. Au final, l’agence est rarement prise en défaut en termes de tarif. C’est donc plus un problème d’accès à une offre non disponible dans les canaux habituels de l’entreprise, que de prix.
L’open booking, c’est aussi gérer cette frustration du voyageur, lui donner un espace de liberté, lui proposer autant de contenus que possible et faire du cousu main.
Il n’est pas souhaitable d’ouvrir totalement les vannes mais il faut se poser les vraies questions sur les contenus que l’on rend disponible, quels que soit les moyens de réservation ; on ne peut pas être totalement décalé par rapport aux besoins des voyageurs et de leurs expériences personnelles, c’est aussi une problématique RH.
Patricia Morosini : Ce besoin du voyageur d’aller voir sur différents canaux de réservation est aussi lié à des outils professionnels moins performants et moins conviviaux que les sites grands publics. Il est impératif de mieux former les voyageurs aux SBT et de rendre plus intuitif ces outils. Aux éditeurs de solution de se pencher sur le problème !
Quelles solutions ?
Anita Bryant :
Il est indispensable d’améliorer le dialogue avec le voyageur. Avec la multiplication des possibilités, l’employé pense qu’il peut mieux faire que sa société. Quand on prend le temps de lui expliquer tous les détails des contrats, les points qu’il ne connaît pas, la négociation, il comprend la problématique de l’entreprise. Et s’il trouve quelque chose de mieux, il faut aussi que la société profite de l’expérience de ses salariés pour intégrer de nouvelles offres. S’il y a un refus de la part de l’entreprise, il ne faut pas s’étonner qu’ensuite, il y ait des fuites...
Il faut aussi que la société profite de l’expérience de ses salariés pour intégrer de nouvelles offres.
Emmanuel Vergé :
On en revient au ressenti du voyageur, à ses habitudes dans le domaine du loisir. Désormais, chacun souhaite pouvoir personnaliser son expérience. Si on ne s’adapte pas à l’évolution des usages, on va perdre des opportunités énormes. Il faut un canal de réservation par fournisseur ou par service, et non un portail unique, identique pour tous. Demain, c’est l’utilisateur qui va aller chercher ce dont il a besoin, sur le bon site ou la bonne application.
Patricia Morosini :
Il est essentiel d’élargir notre offre, de mettre à la disposition des voyageurs de nouveaux produits ; même s’ils ne sont pas tous dans un SBT ou concentrer au même endroit.
Le challenge est aussi de faire remonter les données. Il faut recentrer toutes les réservations qui se font hors des canaux traditionnels et les regrouper sur une plateforme pour gérer les problèmes de la sécurité, de validation du déplacement. C’est la seule solution pour avoir une vision réelle sur les économies que l’entreprise peut réaliser, et déterminer sur quels acteurs elle doit se concentrer.
Géraldine Valenti :
Il faut aussi prendre en compte la flexibilité et la souplesse du canal de réservation, notamment sur le mobile, et les services qui sortent du périmètre traditionnel de l’agence, comme les restaurants. Sans oublier que les entreprises se doivent de savoir où sont leurs cadres, pour des raisons juridiques.
À nous de répondre aux besoins des voyageurs qu’on a parfois oublié à travers des politiques voyages trop drastiques, tout en répondant aux objectifs financiers et aux obligations légales des entreprises.
Patricia Morosini :
L’avenir de l’agence n’est pas d’émettre des billets mais d’accompagner ses clients. Pourquoi demain ne pas faire de l’après-vente, par exemple modifier des billets réservés par le voyageur en dehors du canal autorisé, du sur-mesure, du 24/24, du conseil et de l’accompagnement ? Au final, il très rare qu’un voyageur trouve moins cher qu’une agence à un instant T. Les rares cas sont par exemple lorsqu’Air France lance des promotions flash qui durent trois heures ! Mais la probabilité pour que le tarif réponde au besoin du voyageur d’affaires est très faible.
Si on ne s’adapte pas à l’évolution des usages, on va perdre des opportunités énormes.
Anita Bryant :
Dans ce contexte, l’avenir des GDS passe par trois points : étoffer l’offre avec notamment un choix d’hôtels plus large, mieux renseigner les agences sur l’offre des compagnies aériennes et permettre de comparer leurs produits dans un environnement convivial ; et enfin respecter la politique de l’entreprise et éviter les fuites, en intégrant un maximum de contenu.
Je ne sais pas si ça a un sens d’accéder à des produits comme Airbnb ou Uber dans un GDS, c’est aux travel managers de le dire. Mais la technologie le permet...
Emmanuel Vergé :
Concur a récemment signé des contrats avec des prestataires tels qu’Airbnb ou Uber, d’une portée mondiale.
La réservation Airbnb remonte dans Concur automatiquement, de sorte que l’entreprise a une visibilité sur la transaction ; puis il y a une intégration en aval, une sorte de preuve de paiement permettant au collaborateur de faire sa note de frais.
Dans un premier temps, la finalité est de pouvoir remonter les informations sur les réservations à un instant T, et qu’elles soient visibles dans les systèmes, notamment pour les obligations de sécurité de l’entreprise. L’open booking est un phénomène aggravant sur ce point...
Xavier Quesnel :
Chez Quicksilver, il y a sans doute eu, à un moment donné, un déficit de communication, ce qui a expliqué que chacun faisait parfois ce qu’il voulait. Comment contenter tout le monde, tout en ayant un visu et récupérer les flux et les montants dépensés hors des canaux ? Nous avons notre propre agence et je lui ai demandé d’être ouverte d’esprit. Lorsqu’un voyageur trouve un billet d’avion plus intéressant sur un site web ou une chambre moins chère sur Booking, pourquoi dirais-je non ? Nous avons par exemple une demande réelle pour une offre d’hébergement de type Airbnb. Pour la gérer, nous avons mis en place des règles très simples : le voyageur va sur Internet, sélectionne le produit qu’il veut dans le cadre d’un budget défini, et fait une copie d’écran qu’il envoie à l’agence. C’est cette dernière qui effectue la réservation. C’est ce que j’appelle de l’open booking maîtrisé. Je récupère ainsi 100% des données et je contente mes voyageurs, avec une restriction : on ne rembourse rien sur note de frais si les prestations sont réservables par notre agence. On ne parle plus chez nous de politique voyage, mais de politique voyageur. Demain, le travel manager sera un vrai couteau suisse du voyage, qui devra prendre en compte l’aspect politique voyage et reporting, tout en développant une casquette RH.
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