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"Mieux vaut payer +20% de frais d’agence que +1% sur les billets d’avion"


Il a été le maître des cérémonies de la session "Négociation des coûts et transparence tarifaire" du dernier Carrefour des Experts (CDE) de la GBTA. Julien Chambert, fondateur du cabinet CBT Conseil, revient sur ce sujet.


Vous insistez sur la nécessaire transparence dans les négociations d’achat travel. C’est donc que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Et pourtant vous estimez que ça va dans le bon sens. Que vous vaut cet optimiste ?


Julien Chambert : On a des acheteurs de voyage qui sont de plus en plus professionnels et matures sur le sujet travel. Durant de nombreuses années, les acheteurs se focalisaient sur le prix, mettant un peu de côté le service. C’est en train de changer. A présent, il faut savoir comment se compose un service et comment le fournisseur va "gagner sa vie" car c’est là que va se placer la négo. D’où cette nécessité de transparence tarifaire.


Vous parlez de maturité l’acheteur. C’est un vrai enjeu pour le travel avec un écosystème mais en même temps, ce poste de dépenses est finalement relativement faible au niveau d’une entreprise. Ce n’est donc pas le sujet le plus "travaillé" par des acheteurs non spécialisés…


Je partage totalement ce point de vue. Aujourd'hui on a quelques grandes entreprises qui ont les ressources dédiées à cette famille d’achats. Mais pour la plupart des sociétés en France et dans le monde, le travel fait partie d’autres commodités que l’acheteur est amené à négocier. Cela dit, la professionnalisation vient aussi des entreprises où le voyage est considéré de moins en moins comme une charge comptable et de plus en plus comme un investissement. Un investissement en RH - je pense en particulier à la rétention des voyageurs fréquents dont il faut prendre soin. Investissement aussi car si, effectivement, le travel est peu significatif vs les achats de production, c’est un achat qui impacte la totalité des collaborateurs de la société. Surtout si, quand on parle de mobilité on y inclut la gestion des frais et la partie flotte d’entreprises.


De plus, deux évolutions ont été renforcées par le Covid. D’une part, le déplacement devient presque exclusivement "business" et de moins en moins statutaire. Désormais, le ROI - ou, à défaut, le coût complet du déplacement est calculé. Ça change la mentalité, la façon de travailler. D’autre part, la communication à distance s’est généralisée au détriment d’un certain type de réunions. Désormais, on se déplace avec un objectif beaucoup mieux identifié.


On pourrait ajouter les objectifs RSE qui vont dans ce même sens d'une validation plus pointilleuse des déplacements. Mais en quoi ces tendances impactent-elles le cadre des négociations ?


Jusqu’alors, et depuis une dizaine d’années, les acheteurs achetaient un frais de transaction le plus bas possible. Aujourd'hui ça s’inverse car, post-Covid, quand le fournisseur n’a plus de ressources, tu as un problème d’exécution de ta commande. Il y a une prise de conscience: si j’achète au bon prix, je permets une rémunération juste et un meilleur service.


Dans une négo, la première phase de transparence consiste à se demander "Qu’est-ce que j’achète ?" et "Ce que je paye, à quoi ça sert ?". Au CDE, Aurélien Rodriguez d’HCorpo expliquait : "On restructure avec le client le design du besoin et du coût et là, la négo n’est plus la même car l’acheteur peut exiger la même transparence du fournisseur sur son fonctionnement réel". On arrive dès lors à des modèles très clairs, une information très forte et ça donne, lors du même événement, une Rebecca Xerri de CDS Group qui est capable de dire : "Le commissionnement est de 8% dont 4% reversé à l’hôtel".


Mais cette transparence, les agences sont-elles prêtes à s’y plier. Au CDE, Stéphane Reynaud, d’Egencia, a bien déclaré que le client n’avait pas à connaître sa commission Air France, par exemple…


Le dire, c’est courageux et c'est intéressant car ça lève un tabou. On est pas obligé d’en arriver au “livre ouvert”. En revanche, ce que peut faire l’acheteur, c’est dire : “Je ne veux pas savoir combien vous touchez d’AF mais je veux savoir quel est le poids que représentent dans votre chiffre d’affaires fiscal les commissions et les subventions.” Ca, l’acheteur peut l’exiger. Un exemple : j ai un client qui a confié ses résa hôtelières à son agence. Je lui ai dit : “Votre agence va générer de la marge sur ces transactions et c’est normal car elle fournit un service dont vous avez besoin et dans ce cas, le partage de marge ne se justifie pas.” Pourquoi ? Parce que si je ne veux pas payer cette marge et que mes collaborateurs réservent en direct, mes coûts de process seront beaucoup plus élevés… Par contre, comme l’entreprise apporte de la marge supplémentaire à l’agence, il y a la place pour la négo. Ça peut se traduire par un service supplémentaire : des jours de conseil en plus, de l’implémentation de nouvelles interfaces…


Dans ce cas, on n’est pas dans un modèle de transparence “livre ouvert”... Par contre, comme je connais les structures de coûts et de revenus de mon fournisseurs, même si ce ne sont que des ordres de grandeur (s’il gagne 3, 8 ou 15% sur mon volume), je peux négocier avec lui, en restant réaliste, raisonnable. Et de fait, pour ça, je n’ai pas besoin de connaître le montant de sa commission AF.

J’ajoute au passage que cette façon de faire laisse de la place pour des agences de taille intermédiaire, dotée d’un pouvoir décisionnel très fort et qui, pour attirer, des comptes peut dire “Je n’ai pas de problème à ce que vous auditiez mes livres une fois par an”. C’est un avantage concurrentiel par rapport à une TMC globale, cotée en bourse etc. Mais ça ne peut fonctionner que si l’acheteur est prêt à payer son service.


Vous parlez de modèles qu’en tant que conseiller, vous appelez de vos vœux. Mais concrètement, dans la réalité, est-ce que ça arrive ?


C’est très lié à la culture de l’entreprise cliente. Les entreprises dont l’activité est basée sur l'innovation vont être plus enclines à comprendre qu’un service se paye et qu’on n’a que ce qu’on a payé. L’autre élément important, c’est la capacité de l’entreprise cliente à générer un taux de marge important. Si je suis dans le service et que mon taux de marge est bon, je suis plus susceptible d’acheter un service qui a de la valeur. Si je suis un industriel avec un taux de marge faible et une pression forte, ma culture d’entreprise fait que je vais toujours aller “gratter” le maximum d’économie sur une commodité. Donc ce modèle ne peut pas convenir à tout le monde. Ça ne vaut pas le coup de le proposer à certains clients.


Du côté fournisseur, les points de blocage peuvent être liés au fait d'avoir un pouvoir décisionnel en France ou pas. C’est le cas des TMC locales, bien sûr. Mais je pense que c’est le cas de GBT aussi car - je ne sais pas si c’est le cas dans les autres pays - mais en France, le pouvoir décisionnel est très fort.

Autres points de blocage : la culture. Durant des années les fournisseurs se sont fait presser sur les prix et ont donc peur d’être transparents, de risque d’être pénalisés. Je pense que la vraie transparence consisterait à dire “Je suis rémunéré par les commissions aériennes - mais en réalité c’est très faible”.


On parle quand même, à ce propos de 25% de la marge de certaines TMC…


Oui mais sur des marges de 5 à 6%... Sur du Pro Première SNCF, si tu es à 5% c’est que tu as très bien négocié. Sur du AF, entre 1 et 3%. Ça reste faible. La vraie source de revenus ce sont les frais, dans un modèle transparent, et le modèle de négociation. Sauf que comme les acheteurs ne sont jamais été jugés sur la performance achat mais sur le niveau des frais, ça incite les agences à jouer sur ces frais et à ce qu’ils tendent vers zéro. Mais il faut que le client se pose des questions simples : “Comment mon agence vit-elle ? Comment rémunère-t-elle son personnel ? Avec des frais si bas, est-ce que c’est sûr que son personnel va rester ? Et si son personnel reste c’est qu’elle a d’autres sources de revenus… que je paye moi, forcément, et sans le savoir”.


Sur ce point, les acheteurs ne sont pas très transparents non plus : certains acheteurs sont rémunérés sur leur capacité à générer des économies. J’ai mes frais d’entrée avant négo, mes frais de sortie après négo, et c'est sur ce delta que mon bonus peut être déclenché. Une fois que le fournisseur a compris ça, autant qu’il mette un service à zéro puisque de toute façon je vais récupérer sur un modèle de négoce (un prix négocié par l'agence auprès d’un transporteur, par exemple, que l’agence va revendre avec une marge en restant sous le prix non négocié, ndr).


La négo devrait consister à dire : “J’ai besoin de tant de marge et je négocie dans la transparence sa répartition entre frais et volume. Là, la discussion est ouverte. Aujourd'hui, on est encore dans cet entre-deux avec un acheteur rémunéré à la performance “réduction de frais” et un fournisseur qui est du coup incité à se rémunérer - oui, forcément - mais par d’autres biais que les frais pour satisfaire l’acheteur. Après tout pourquoi pas, c’est un modèle comme un autre que de se rémunérer sur du “négoce” : un billet vaut 100, j’arrive à le négocier à 90, et le revends à 95. Je trouve ça vertueux… mais il faut le dire. Ce qui n’est évidemment pas le même cas pour le billet à 100 que je revends 110 : ici, la faute est autant sur les acheteurs que sur les agences. Si l’acheteur avait été capable de payer un frais de transaction à 4 ou 5 €, peut-être l’agence n’aurait-elle pas procédé à ce markup.


Il faut que le client ne perde pas de vue que les frais de transaction ne représentent que 5% des frais de déplacement. Donc même si je les augmente de 20%, je n’augmente mes frais de déplacements que de 1%. En revanche, si je paye 1 ou 2% de plus sur mes billets d’avion, je vais me retrouver avec une augmentation de mon budget voyage d'une toute autre ampleur ! Et qu’en plus je n’aurai pas tracée… Et je vais me retrouver avec des débats internes : le voyageur va dire “Jai trouvé moins cher sur internet” et ça remet en question la légitimité de l’acheteur. J’ai un client - un marché public - qui autorise désormais ses collaborateurs à acheter des billets moins chers sur internet. La consigne : “Tu trouves moins cher, tu fais une capture d’écran et tu passes ton billet en frais (en évitant du coup le canal TMC)”. Faille de sécurité, coût de process non maîtrisé, coût de traitement comptable énorme, acheteurs complètement décrédibilisés : c’est aberrant.


Vous préconisez des services clairement identifiés et dûment rémunérés et pour cela, de la transparence. Est-ce que la rémunération transactionnelle, qui est aujourd'hui la règle, est la mieux adaptée à ces exigences ?


Il n'y a pas un seul modèle valide et sain. Mais il faudrait peut-être retourner à ce qui se faisait dans les années 80 : le management fee. Dire : "Pour traiter votre volume, voici les coûts que je vais avoir; il me faut telle marge, on additionne les deux et on obtient ce que vous allez payer à l’année". Après des années de transactionnel, on s’aperçoit que le mode de rémunération le plus transparent est le management fee. Et j’ai beaucoup de clients qui me disent "On ne m’en a jamais parlé". Ou qui me demandent : "Est-ce que dans un appel d’offres, je peux plutôt fonctionner en compte de résultat plutôt qu’en frais de transaction ?" Et finalement, post-Covid, après cette période sans transaction, le management fee reprend du sens. C’est là qu'on voit des acteurs tels que Supertripper ou d’autres passer à l’abonnement.


Ce mode de rémunération n’implique pas une transparence totale, mais en tout cas, c’est facile à lire. Et ça permet à l'acheteur de pouvoir se projeter. Toujours au CDE, Héloïse Devaux, de Bird Office/Kaktus a évoqué les difficultés, tant du côté acheteurs que fournisseurs, à valoriser le service. Peut-être parce que le besoin de l’acheteur a mal été calibré. Peut-être parce que, côté fournisseurs, je vends une palette de services sans m'être posé la question de savoir si elle était adaptée à mon interlocuteur. Du coup, si on m'offre plein de services mais que je n’en perçois pas la valeur, la négo est plus compliquée car l’acheteur, tel ou tel service, le valorise à zéro. Et c’est là que ça se professionnalise. Les acheteurs font de plus en plus le travail de comprendre l’offre fournisseur et en quoi elle peut être intéressante pour leurs clients internes (les collaborateurs, ndr).


A ce travail de compréhension des acheteurs doit correspondre un travail de pédagogie de lapart des fournisseurs...


Bien sûr ! On a des fournisseurs qui sont très mauvais vendeurs sur certains sujets. Exemple : les agences, souvent, offrent - ou vendent à vil prix - l’implémentation de leur solution. Sauf que si demain l’entreprise va acheter la solution directement chez l’éditeur, il va bien la payer cette implé ! C’est une habitude qui est devenue naturelle. Ces services non facturés produisent de l’insatisfaction partout : le client dit, par exemple, “Le business review de ma TMC n’a aucune valeur” et la TMC va dire “Ok, mais je ne facture pas vraiment ce service”. En conséquence, la qualité du business review n’est due qu’à la qualité de l'account manager qui en a la charge. Alors que si ce service était facturé, l’agence pourrait investir dans la formation de ses ressources, dans du temps passé avec l’acheteur pour connaître ses besoins… et la qualité de la business review en devient du coup moins aléatoire.


La transparence se travaille par le dialogue. Si je comprends mieux mes besoins internes, je les exprime mieux et si le fournisseur comprend mieux comment ses propres coûts sont structurés, et qu’il l’exprime, chacun sait sur quoi peut porter la négo et quel impact de service peut avoir une négo à la baisse et donc l’offre est mieux présentée. On ne peut pas négocier si on ne sait pas ce qu’on achète ni si on sait pas ce qu’on vend.


Rares sont les agences qui ont un modèle de rentabilité par exemple. Comme pendant longtemps on était face à des clients qui achetaient un prix, ce prix a été constamment baissé. Pourtant les agences doivent bien gagner de l'argent ! Si vous n'êtes pas capable de comprendre là où le fournisseur gagne ou perd de l’argent c’est que vous, vous perdez de l'argent. Car si vous n’êtes pas capable de comprendre sa structure de coût, il va générer des marges que vous ne maîtrisez pas.

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